Autoportrait, 1887

AUTOPORTRAIT, 1887
Huile sur panneau, signé et daté 87 en bas à gauche
35, 5 x 28 cm
Nancy, musée des Beaux-Arts (inv. 76.61)

Les dimensions sont modestes mais la modernité de la touche et la persistance du regard nous font oublier ce « petit format ».

Émile Friant se dépeint ici, au premier plan, avec force et intimité, tout ce qui fera sa notoriété dans les années à venir. Il a 24 ans, nous sommes en 1887. La scène se déroule à Nancy, peut-être au 26 de la rue Jeanne-d’Arc où son père s’est installé comme artisan après avoir quitté la petite ville de Dieuze, annexée en 1870 par la Prusse, comme une partie de la Moselle et l’Alsace.

L’artiste semble se souvenir ici de la maxime de son maître à l’école municipale de Dessin, Théodore Devilly : « Regardez autour de vous, observez simplement et traduisez sincèrement ». Sur cette composition Friant regarde autour de lui, il observe et il traduit sur son panneau de bois posé devant lui en diagonale. Cette observation accrue de la réalité sera la signature du maître lorrain.

Si de prime abord nous pourrions penser que le peintre nous observe, en réalité il scrute un miroir. Le droitier qu’était Friant devient gaucher. Il est seul, dans ce qui semble être son atelier. Le calme règne, on entend peu de choses, si ce n’est sa blouse rêche aux teintes crayeuses remuer à chaque coup de pinceau, ou encore quelques passants en arrière-plan.

Le fond est traité avec rapidité, les formes sont estompées et les contours flous. L’homme au chapeau noir – épiant l’artiste au travail – est rapidement brossé. En le laissant dans sa composition et en se plaçant juste à côté, au premier plan et avec une grande netteté, Friant donne alors une certaine profondeur à sa composition. Si la thématique de l’autoportrait dans l’atelier est académique, le rendu en est tout autre. Ce contraste saisissant entre les plans donne une forte présence à l’artiste, tel un objectif de photographe avec une mise au point sur le visage du protagoniste.

Ce rendu minutieux est certainement à mettre en lien avec son voyage à Anvers effectué l’année précédente (1886). Nous retrouvons des réminiscences de l’art flamand comme la présence de la fenêtre qui occupe la quasi-totalité de l’arrière-plan, et permet ainsi d’inonder le tableautin de lumière. L’ambiance semble hivernale. Que nous soyons sur les façades des immeubles, sur les grilles où de la neige semble s’être posée il y a quelques instants, sur les murs de l’atelier ou encore sur la blouse de l’artiste, dans une gamme chromatique époustouflante. Le blanc sera une couleur de Friant, que ce soit le blanc heureux de La Barque ou celui mélancolique entourant la Jeune Nancéienne.

La veste noire que porte l’artiste en-dessous de sa blouse rehausse la composition. Les températures obligent peut-être le port du costume, mais ce col noir a le mérite de mettre en valeur le visage. La bordure de la fenêtre, avec ce fin réseautage de verre coloré ainsi que sa translucidité, montre la maîtrise des pigments. Faisant pendant et donnant une épaisseur à la composition, l’arrière du panneau de bois que Friant peint attire notre regard avec sa gamme rougeâtre.

Peint sur bois, cet Autoportrait est une superbe mise en abyme : nous regardons le panneau que Friant est lui-même en train de peindre dans son atelier. Il souhaite se montrer tel qu’il est, loin des conventions académiques, et de face. Le regard fort et profond, l’arrière-plan flou pour mieux mettre en valeur le sujet, la lumière réfléchie et vibrante, voici un chef-d’œuvre d’Émile Friant. Nous l’observons en silence.

Jean-Sébastien BERTRAND
Enseignant en histoire de l’art et conférencier