Jeunesse et formation
Émile Friant naît à Dieuze le 16 avril 1863. Son père Virgile est chef d’atelier aux salines de la ville. Sa mère, Catherine Torlotin, est employée de maison, notamment chez les Parisot qui, n’ayant pas d’enfant, s’attachent à Emile comme à leur propre fils. En 1870, après l’annexion de la Moselle par la Prusse, la famille vient s’installer à Nancy, accompagnée de Madame Parisot désormais veuve.
Très tôt, l’enfant s’adonne au dessin. Il commence sa formation à l’école municipale de dessin de Nancy où il suit l’enseignement de Théodore Devilly qui l’incite à travailler d’après nature. Remarquant les talents du jeune garçon, il obtient de la ville de Nancy une bourse d’étude pour que Friant puisse s’inscrire à ’École des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Cabanel. A Paris, Friant visite les musées et les galeries d’art. Ses goûts le portent vers Gérôme, Meissonier dont il admire le soin apporté au rendu des détails, et Bastien-Lepage chez qui il retrouve son penchant pour la nature. Il alterne des séjours nancéiens et parisiens et expose aux salons. Sur les conseils d’Aimé Morot, il présente en 1882 au Salon parisien L’Enfant prodigue, dont le Musée Lorrain à Nancy possède une esquisse. Le tableau lui permet d’obtenir une Mention honorable. Il est acheté par l’État et envoyé au musée de Roubaix (L’œuvre est aujourd’hui détruite).
En 1883 il obtient le Second Grand Prix de Rome avec Œdipe maudissant son fils Polynice. C’est le peintre André-Marcel Baschet (1862-1941) qui est couronné. Il tentera à nouveau le concours en 1884 et 1885, sans succès.
Voyages et premiers succès
Néanmoins la carrière de Friant est lancée et ses premiers succès au Salon lui permettent d’obtenir, en 1886, une bourse de voyage pour se rendre en Belgique et en Hollande. Il y séjourne lors de l’hiver 1886-1887. Puis au printemps 1887, il part vers le Sud, en Italie et en Tunisie, pays qu’il découvre et où il reviendra quelques années plus tard. Dans plusieurs lettres à son ami l’antiquaire Auguste Blain, Friant raconte ses impressions de voyage.
Après le salon de 1889, Friant obtient une bourse et retourne en Afrique du Nord en 1890, puis en 1892 où il fait d’abord étape en Espagne. Ce deuxième périple au Maghreb est raconté par son ami, le peintre Raoul de Dombasle qui l’accompagne en Algérie, dans plusieurs articles parus la même année dans « La Lorraine Artiste ». De ses périples, Friant rapporte des paysages pris sur le vif et quelques beaux portraits, dessinés ou peints.
Les portraits
Son talent de portraitiste a été très vite remarqué, notamment grâce à ses premiers autoportraits, genre auquel il s’adonne dès l’âge de quatorze ans et tout au long de sa carrière.
A l’école de dessin de Nancy, Friant avait noué de solides liens d’amitié avec des jeunes artistes qui allaient lui servir de modèles pour ses dessins et peintures, en particulier les peintres et artistes-décorateurs Camille Martin et Victor Prouvé ainsi que les sculpteurs Ernest Bussière et Mathias Schiff. Il peint plusieurs fois les acteurs de la vie artistique nancéienne, tels le verrier et décorateur Emile Gallé, le peintre Louis Guingot ou le relieur d’art René Wiener.
Sa vie durant, Friant se fait une spécialité du portrait. A ceux de ses amis nancéiens vont succéder ceux de ses relations parisiennes, tels les membres de l’Académie des Beaux-Arts ou les acteurs Constant, Ernest et Jean Coquelin que Friant a maintes fois représentés en costume de scène ou dans leur intérieur. Il admire aussi le peintre impressionniste lorrain Charles de Meixmoron de Dombasle, dont il réalise plusieurs portraits et qui sera son premier biographe.
La célébrité
Son grand tableau La Toussaint permet à l’artiste d’obtenir un prix spécial au Salon de 1889. Acheté par l’État pour le musée du Luxembourg, le tableau est déposé au musée des Beaux-Arts de Nancy après la mort de l’artiste en 1932. Construite comme un instantané photographique, la scène représente l’entrée au cimetière de Préville à Nancy, le lendemain de la Toussaint. De cette frise de noirs vibrants se détachent les visages patiemment étudiés en atelier et vraisemblablement peints d’après photographies.
La Toussaint a connu dès sa présentation, une immense popularité et a été largement diffusé par le biais de la phototypie, de la chromotypie et par des cartes postales éditées par le musée du Luxembourg. La même année Emile Friant reçoit une médaille d’or à l’Exposition universelle et est décoré de la Légion d’honneur. Grâce à son marchand Goupil associé à Knoedler à New-York, il connait une célébrité internationale.
Les années 1890 sont jalonnées d’œuvres importantes comme Les Souvenirs (Paris, Petit Palais), Ombres portées (Paris, musée d’Orsay), La discussion politique (collection particulière), Premier assaut (Collection particulière), Le Pain (Toul, musée municipal), Le repas frugal (collection particulière), Chagrin d’enfant (Pittsburgh, The Frick Collection), La douleur (Nancy, musée des Beaux-Arts). Friant représente souvent sa compagne Eugénie Ledergerber ou la famille d’Eugénie.
En 1895, il obtient une première commande publique : la ville de Nancy demande à l’artiste des panneaux décoratifs pour le grand salon de l’hôtel de ville. L’artiste choisit pour thème Les Jours heureux. Les panneaux sont aujourd’hui conservés au musée des Beaux-Arts de Nancy. En 1900, Friant est à nouveau couronné par une médaille d’or à l’Exposition universelle.
Les honneurs s’enchaînent. L’État lui commande pour la Préfecture de Meurthe-et-Moselle le décor du plafond de la salle des fêtes sur le thème de La Lorraine protectrice des arts et des sciences. L’artiste est associé à Victor Prouvé et Marcel Jambon pour ce projet. En 1906, il devient professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris en remplacement de Luc-Olivier Merson, poste qu’il conserve jusqu’à sa mort en 1932.
Sa vie se passe entre Paris et Nancy, ville à laquelle il est très attaché et où il conservera toujours un domicile et un atelier qu’il s’est fait aménager quai Ligier Richier. Il s’adonne de plus en plus à la gravure, pratique qu’il avait découverte dès 1883, sans doute avec ses amis Victor prouvé, Georges Jeanniot et Eugène Decisy. On retrouve dans ses feuilles, le talent minutieux de ce grand dessinateur.
Les dernières années
Durant les années de guerre, ne pouvant être mobilisé, il participe à l’effort national en dessinant des affiches et des bons pour la défense. Il s’intéresse depuis les années 1890 à l’aérostation et propose aussi des innovations techniques pour les pilotes. On retrouve certains prototypes dessinés par l’artiste dans son fonds d’atelier légué au musée des Beaux-Arts de Nancy.
Parfois moqué pour son style « pompier », l’artiste, avec beaucoup d’humour, participe en 1912 à l’exposition organisée à la galerie Georges Petit à Paris, Les Pompiers, à l’initiative de Luc-Olivier Merson. Dans l’un de ses dessins, il s’est d’ailleurs caricaturé en tenue d’académicien repoussant les démons du Cubisme et du Fauvisme.
Dès cette période il réfléchit à un grand panneau décoratif, En pleine nature, pour lequel il existe de nombreuses études et dont on connaît des photographies permettant de documenter le travail du peintre et son rapport à la photographie. Exposée au Salon de 1924, cette grande toile est aujourd’hui présentée au musée Georges de La Tour de Vic-sur-Seille.
La même année, l’artiste entre à l’Académie des Beaux-Arts. Ses amis nancéiens lui organisent un banquet au cours duquel des discours sont prononcés. Victor Prouvé fait l’éloge de son ami en ces termes : « …tu es un incomparable exemple et il y en a bien peu qui pourraient prétendre à une telle tenue de vie artistique. Elle est comme la plus parfaite ligne droite que puisse tracer le burin dans la plus dure matière… C’est le front en avant, les sourcils froncés et les dents serrées que tout ce que tu as voulu a été accompli. C’est magnifique. Ce qu’il y a d’extraordinaire même, c’est que ce que tu as voulu dans tes œuvres a été voulu aussi pour les récompenses auxquelles tu prétendais ; car tu as tout voulu et tu as tout ! La récompense que tu considérais comme consécration affirmative est toujours venue automatiquement à l’heure que tu t’étais dictée. Dès l’âge de 18 ans, tu voyais déjà briller ton étoile. Ne nous disais-tu pas : « A 27 ans, je serais [sic] décoré ». Dès la 26e tu l’étais. Tu as gravi ainsi tous les degrés par ta volonté, sans intrigues, par ton travail, par ta valeur… Tu nous as dit aussi un jour « Je mourrai membre de l’Institut ». C’est fait. Tu n’es pas mort bien heureusement. D’ailleurs être de l’Institut n’est-ce pas être immortel ? »
L’artiste décède à Paris en 1932. Il est enterré dans sa ville d’adoption, Nancy, au cimetière de Préville qui a servi de décor à son œuvre la plus célèbre : La Toussaint.